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Allocations budgétaires optimales et options de réformes pour le secteur agricole dans le Plan Sénégal Emergent 2019-2023

Ce rapport fournit des arguments scientifiques à l'appui d'options politiques en faveur du secteur agricole pour la deuxième phase du Plan Sénégal Emergent (PSE) et de son Plan d'Actions Prioritaires (PAP) en 2019-2023. Cinq scénarios d'allocation budgétaire sont proposés au vu de leur impact respectif sur plusieurs cibles de performance visées par le PSE. Ils couvrent l'augmentation des dépenses vers (i) la recherche agricole et la dissémination des connaissances, (ii) les subventions aux intrants, (iii) les infrastructures d'irrigation, (iv) les infrastructures de transport en zones rurales et (v) l'éducation rurale et la santé rurale. Ils sont simulés avec un Modèle d'Equilibre Général Calculable (MEGC) dynamique récursif à l'échelle de l'économie du Sénégal. Ce modèle est calibré à partir d'une Matrice de Comptabilité Sociale (MCS) au secteur agricole désagrégé et de données de dépenses publiques collectées par le programme Suivi et Analyse des Politiques Agricoles et Alimentaires (SAPAA).

L'étude

Principaux résultats

En matière de variation du PIB et de la balance commerciale, la modélisation des cinq scénarios produit des effets d'une ampleur relativement faible. Du fait des hypothèses de modélisation, notamment la stabilisation du budget agricole en proportion du budget total, l'ampleur de la réallocation est limitée, et certains postes du budget agricole connaissent une augmentation relativement modeste en valeur absolue aux dépens des autres.

Néanmoins, la modélisation permet de dégager les tendances suivantes dont (i) la hausse des dépenses vers l'éducation et la santé ont l'impact le plus positif sur la croissance du PIB, notamment sur le long terme; (ii) la hausse des dépenses vers les subventions aux intrants a l'impact le plus significatif sur la balance commerciale, avec un impact positif sur le solde commercial pour les produits alimentaires et un impact négatif sur le solde commercial pour les produits non-agroalimentaires.

En matière de variation de la production agroalimentaire, la hausse de dépenses vers les subventions aux intrants, et dans une moindre mesure, la hausse des dépenses vers les infrastructures de transport en zone rurales conduisent à une augmentation des volumes produits, notamment pour les cultures de rente dans le cas des subventions aux intrants. Cet impact sur l'offre conduit à une baisse des prix d'achat des denrées alimentaires pour les ménages et à une hausse de la consommation.

Recommandations

Sur la base des résultats de l'analyse, trois principales recommandations au gouvernement sont formulées comme suit:

  1. Rééquilibrer les dépenses publiques des subventions aux intrants entre les exploitations.
  2. Poursuivre la tendance actuelle d'allocation des dépenses en faveur des biens collectifs, particulièrement les routes rurales.
  3. Considérer l'impact des dépenses d'éducation et de santé sur la croissance globale.

Le modèle

Les effets des différents scénarios d'allocations budgétaires sont simulés avec une extension du modèle STatic Applied General Equilibrium for DEVelopment (STAGE-DEV) (Aragie et al., 2017), un modèle d'équilibre général calculable (MEGC) dynamique, variante de STAGE (McDonald, 2007). Ce modèle permet de prendre en compte les particularités des pays en développement, en particulier les pays d'Afrique subsaharienne. En effet, pour modéliser plus fidèlement les questions d'agriculture et de sécurité alimentaire, un MEGC doit pouvoir représenter le double rôle des ménages agricoles semi-subsistants, aussi bien producteurs et consommateurs. D'autres particularités de l'Afrique subsaharienne que le MEGC doit aborder sont liées aux rigidités structurelles dans les économies, i.e., le marché du travail et la segmentation des facteurs, le niveau élevé de chômage / sous-emploi, en particulier dans les zones rurales, les activités non productives (par exemple la collecte d'eau), les migrations de population et de la main d'œuvre du milieu rural au milieu urbain.

La matrice de comptabilité sociale

Accéder à la MCS
Le modèle est calibré à partir d'une matrice de comptabilité sociale (MCS) désagrégée et récente (année de référence 2014). Elle incorpore des comptes spécifiques, une régionalisation et le traitement de l'autoconsommation (Boulanger et al., 2017). La MCS utilisée pour cette étude comprend 219 comptes répartis en 56 activités économiques (dont 14 comptes de ménages en tant que producteurs), 57 comptes de produits commercialisés et 9 comptes de produits autoconsommés, 3 catégories de travail distingué selon la qualification (qualifié, semi-qualifié et non-qualifié) dans 14 régions sénégalaises et 1 région représentant le reste du monde; 5 comptes de capital (agricoles, non agricoles, terre non irriguée, terre irriguée et élevage), 5 comptes d'impôts et taxes (directs, indirects, ventes, facteur travail et importations), 33 catégories de ménages représentatifs (régionalisés) et un compte de marges, un compte d'épargne-investissement, 4 comptes allouant les investissements (routes, irrigation, autres infrastructures, reste des investissements), un compte d'entreprises, du gouvernement et du reste du monde.

Les scénarios

Cinq scénarios de réformes politiques sont proposés. Ils ont pour point commun un accroissement de 10% des dépenses, par an, d'un poste budgétaire (par exemple les dépenses vers la recherche agricole et la dissémination des connaissances) en comparaison avec le scénario de référence (statu quo). Cette augmentation de 10% est financée par une diminution comparable d'autres dépenses du budget agricole. Chaque scénario est donc neutre pour le budget agricole total, et correspond uniquement à une réallocation des dépenses. Cette stabilité du budget agricole est considérée comme pertinente car le Sénégal attribue déjà plus de 10% de son budget national à l'agriculture et au développement rural (au-delà des engagements de Maputo). Il est donc peu probable que cette part augmente sur la période étudiée. La part du budget agricole est donc maintenue entre 10.3% et 10.4% du budget total. Le niveau initial des dépenses et sa répartition entre mesures correspondent aux moyennes 2013-2015.

Enfin, il convient de souligner que dans le scénario de référence (statu quo), le budget du gouvernement sénégalais croît, tout comme son PIB. Le scénario de référence se base sur l'un des scénarios du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) nommé SSP (pour Shared Socioeconomic Pathways). Le scénario retenu (SSP2) présume un monde caractérisé globalement par la poursuite des tendances actuelles (Riahi et al., 2017). Les résultats sont présentés, en comparaison avec le scénario de référence (statu quo) à l'horizon 2019, 2023, 2030 ou bien sur la période cumulée du PSE, à savoir 2019-2023. Les cinq scénarios sont les suivants:

  1. Augmentation des dépenses vers la recherche agricole et la dissémination des connaissances.
  2. Augmentation des dépenses vers les subventions aux intrants.
  3. Augmentation des dépenses vers les infrastructures d'irrigation.
  4. Augmentation des dépenses vers les infrastructures de transport en zones rurales.
  5. Augmentation des dépenses vers l'éducation et la santé en zones rurales.

Marchés agricoles

Les politiques simulées ont une incidence significative et parfois contradictoire sur la production qui diffère selon le produit, l'activité et la région. Parmi tous les postes de dépenses, l'octroi de subventions aux intrants a l'effet le plus important sur le total de la production agro-alimentaire, aussi bien la production autoconsommée que commercialisée.

Les scénarios de dépenses vers la recherche agricole et la dissémination des connaissances ainsi que vers les routes rurales présentent également un impact globalement positif, tandis que le scénario de dépenses vers l'éducation et la santé rurales présente un effet négatif sur la production agroalimentaire mais positif sur la production de biens industriels, énergie et services.

La production agroalimentaire destinée à l'autoconsommation augmente dans tous les scénarios mis à part celui accroissant les dépenses vers l'éducation et la santé rurales (diminution de 1.06% sur la période 2019-2023) et celui privilégiant les investissements d'irrigation . Une dynamique similaire caractérise la production agroalimentaire destinée à la commercialisation. A noter que les cultures de rente commercialisées bénéficient fortement du soutien aux intrants avec une augmentation de la production de 14% sur la période 2019-2023, en partie à cause de l'intensité relativement élevée de l'utilisation des intrants modernes dans le secteur des cultures de rente. Par contre, dans le scénario de recherché agricole, les cultures de rente bénéficient le moins parmi les cultures commercialisées avec un effet négatif sur la production.

Force est de constater que les cultures vivrières commercialisées augmentent le plus fortement avec une augmentation des dépenses vers les routes rurales atteignant 3% en 2030. Sont ainsi illustrés les gains dynamiques (et exponentiels) d'un investissement routier qui réduit les marges commerciales et de transport. L'aspect temporel est particulièrement significatif ici car l'accroissement est de 0.93% en 2019, 2.13% en 2023 et 3.02% en 2030, et est caractéristique d'un investissement dont les gains croient avec le temps. Les produits agricoles et alimentaires sont les premiers bénéficiaires car utilisant le plus les routes rurales. Enfin, sans surprise, le secteur de la construction voit également sa production augmenter.

L'effet négatif sur la production agroalimentaire des dépenses vers l'éducation rurale et la santé rurale peut sembler contre-intuitif. Toutefois il est le résultat du fort développement de l'industrie et des services qui bénéficient le plus des gains de productivité et attirent les ressources productives de l'économie. Il convient de souligner que l'un des effets de l'augmentation des dépenses en matière d'éducation et de santé est la diminution par rapport au scénario de référence de la population active (et de la population) en raison de l'amélioration des résultats de l'éducation et de leurs effets à la baisse sur le taux de natalité (les effets positifs de l'augmentation des dépenses de santé sur le taux de mortalité ont une incidence moindre sur le taux de croissance démographique).

Une approche par produit confirme ces évolutions et permet une analyse dissociant les produits de cultures vivrières, de rente et de l'élevage.

Sécurité alimentaire et nutritionnelle

L'analyse des prix suggère une baisse générale dans tous les scénarios, sauf le scénario des dépenses en éducation et santé rurale. Les prix des cultures de rentes dans le scénario des dépenses en recherche et dissémination des connaissances augmentent également.

Les mécanismes qui sous-tendent les changements de prix sont facilement identifiables, et cohérents avec l'évolution de la productivité des facteurs et des quantités produites. Dans le cas du scénario des dépenses en recherche et diffusion des connaissances, l'augmentation de la productivité bénéficie aux cultures vivrières commercialisées dont la production augmente et les prix diminuent, et inversement pour les cultures de rentes. Le scénario de subventions aux intrants implique une baisse des prix significative, notamment des cultures de rente telle que l'arachide (-8.4%), le niébé (-3.5%) et le coton (-3.1%) en 2023. La baisse des prix est également effective dans ce scénario pour les cultures vivrières et l'élevage, et pour l'ensemble des produits dans le scénario des investissements en routes rurales. En lien avec la baisse de la production agricole dans le scénario des dépenses en éducation et santé, les prix des cultures vivrières augmentent à l'horizon 2023 entre 0.8% (maïs) et 1.2% (fonio), tout comme les cultures de rente entre 0.2% (sésame) et 1.1% (arachide), ainsi que les prix des produits de l'élevage (0.4%).

Dans le scénario des dépenses en faveur de l'irrigation, la production agricole domestique diminue à l'exception du riz qui accapare les terres irriguées disponibles et les ressources productives. Cette dynamique nuit à la production des autres cultures aussi bien vivrières que de rente. Cela provoque une augmentation des prix des produits agroalimentaires de l'ordre de 3%.

La consommation est affectée par ces variations de prix tout comme les apports nutritionnels. En lien aux effets sur la production et le prix, la consommation des produits agroalimentaires est nettement plus élevée dans le scénario d'investissement en soutien des subventions aux intrants suivi par le scénario d'investissement en faveur de la recherche puis celui d'investissement en routes rurales. Les résultats de la modélisation montrent aussi que seuls les investissements dans la santé rurale et l'éducation rurale entraînent des effets négatifs sur la performance du secteur agricole, notamment une réduction de la production des produits agroalimentaires, une hausse de leur prix et, par conséquent, une baisse de la consommation.

Les résultats de la modélisation montrent qu'il y a une hétérogénéité spatiale de l'impact des scénarios d'investissement sur les apports nutritionnels par tête avec une magnitude positive relativement prononcée dans le scénario d'investissement dans les routes rurales. Considérant le cas d'investissement en soutien des subventions aux intrants qui a démontré un effet plus élevée sur la consommation globale, les résultats montrent que ce sont les zones du sud-est et du nord-ouest qui en bénéficient davantage. Néanmoins, ce sont ces zones qui bénéficient relativement moins sous le scénario des investissements dans les routes rurales. Il est intéressant de différencier ménages urbains et ruraux faisant face à des variations de prix différenciés mais aussi au vu de leur niveau de richesse initiale et la part de l'alimentation dans leur panier de consommation. Il convient toutefois de rappeler que la magnitude et la désagrégation des ménages et territoires limitent la robustesse de l'analyse, tout comme l'approche linéaire adoptée dans la conversation nutritionnelle des agrégats macroéconomiques.

Performances économiques

Les exportations agricoles du Sénégal reposent principalement sur l'arachide et produits arachidiers. La balance commerciale évolue différemment selon les scénarios, en cohérence avec les évolutions de la production. Comme escompté la balance commerciale pour les produits non-agroalimentaires se détériore dans l'ensemble des scénarios à l'exception du scénario des dépenses en éducation et santé rurale qui bénéficie aux secteurs de l'industrie et des services. Dans ce dernier, l'évolution de la balance commerciale est légèrement positive (la balance totale demeure négative à hauteur de 2,700 milliards de FCFA) tout comme dans le scénario des dépenses en recherche et dissémination des connaissances. Ce dernier scénario propose une amélioration de la balance commerciale des produits agro-alimentaires, tout comme dans le scénario des dépenses en subventions aux intrants et des investissements dans les routes rurales.

Les scénarios de subventions aux intrants et de dépenses en éducation et santé rurale augmentent légèrement le PIB total, tandis que les deux autres scénarios le diminuent légèrement par rapport à la référence. En 2023, le taux de croissance du PIB dans le scénario de référence est de 6.82%. Le taux de croissance le plus élevé apparait dans le scénario des dépenses en éducation rurale et santé rurale (6.89%). Ce dernier illustre l'importance du développement industriel et du secteur des services dans les performances économiques.

Irrigation

Le scénario d'accroissement des dépenses vers les infrastructures d'irrigation est présenté séparément. Il a été jugé plus rigoureux d'isoler ses résultats de par les ajustements nécessaires de la MCS afin de prendre en compte une distribution de la valeur ajoutée agricole par facteur de production plus réaliste entre les facteurs de productions, dont le terre pluviale et la terre irriguée.

Dans le cadre de ce scénario, à total budget agricole constant, les investissements dans les infrastructures d'irrigation (qui utilisent principalement le secteur de la construction) sont augmentés de 10% extra du total des dépenses agricoles (soit 80.1 milliards de FCFA en 2019, 104.6 milliards de FCFA en 2023) à partir d'un niveau initial de 41.7 milliards de FCFA (moyenne 2013-2015).

L'augmentation de 10 % du budget agricole aux investissements d'irrigation augmente la production agricole des petits exploitants à Dakar, Saint-Louis et Matam où l'irrigation est plus répandue. Toutefois, dans toutes les autres régions, la production des petites exploitations agricoles décline, même dans des régions telles que Sédhiou, où il y a une quantité importante de terres irriguées. Cela est principalement dû à la faible contribution des terres irriguées à la production agricole. Dans la plupart des régions, le coût de l'irrigation porte préjudice aux petites exploitations car ils sont impactés négativement par le déclin des autres composantes du budget agricole.

Au niveau national, les grandes exploitations (commerciales) diminuent leur production de 0.52%. Cette évolution négative à l'échelle nationale reflète la concentration territoriale et faible utilisation de l'irrigation. Un accroissement du budget agricole aux investissements bénéficie donc à peu d'exploitants, et se fait au détriment du financement d'autres mesures. Il convient de rappeler qu'un ciblage de ces investissements d'irrigation n'est pas modélisé.

La production agricole domestique diminue à l'exception du riz commercialisé dont la production est plus rentable de par l'expansion de l'irrigation et la disponibilité de terres irriguées supplémentaires. Toutefois, cela nuit à la production des autres cultures vivrières mais aussi des cultures de rente. La baisse de la production fait augmenter les prix des produits agroalimentaires de près de 3%.

L'évolution du bien-être des ménages suit l'évolution de la production agricole. Cet indicateur de bien-être monétaire prend en compte aussi bien le revenu que les dépenses des ménages. Les ménages ruraux de Saint-Louis, de Sédhiou et de Matam améliorent le plus leur bien-être, et les ménages de Kédougou et de Ziguinchor profitent également de l'irrigation dans une proportion moindre (malgré leur faible part de terres irriguées). L'augmentation du bien-être des ménages ruraux de Kédougou et de Ziguinchor est due à la hausse des prix agricoles qui impacte positivement leurs revenus malgré la baisse de la production agricole. Les ménages ruraux des autres régions dont la dotation en terres irriguées est faible au cours de l'année de référence, comme Louga et Kaolack, enregistrent des pertes de bien-être. Le bien-être des ménages urbains de Saint-Louis, de Sédhiou, Ziguinchor et Kédougou augmentent (comme dans le cas des ménages ruraux de ces régions) mais celui de Matam, qui a relativement plus de terres irriguées au cours de l'année de base, baisse. Cela est dû au fait que les ménages urbains possèdent une part relativement faible de terres irriguées à Matam par rapport aux autres régions.

La décomposition des variations du bien-être confirme ces évolutions. La plupart des gains de bien-être résulte de l'augmentation des revenus fonciers. Ainsi, dans les régions où les petits exploitants (ménages) ruraux détiennent une part plus élevée des terres irriguées, les bénéfices devraient être répartis de manière plus égale, tandis que dans les régions où les terres irriguées sont concentrées dans les mains de peu d'exploitations, les bénéfices de l'irrigation seront principalement destinés à ces exploitants (ménages). Dans toutes les autres régions, les ménages urbains font face une baisse de leur bien-être, en particulier ceux du Kaffrine et du quintile le plus pauvre de Dakar, qui sont affectés par l'augmentation des prix des denrées alimentaires, étant donné la part plus élevée de denrées alimentaires dans leur panier de consommation.

Évolution du bien-être des ménages, scénarios d'investissements dans l'irrigation hors-ferme, variation en milliards de FCFA par rapport au scénario de référence